Lire et écrire pour apprendre

De l’engrais pour l’esprit

La lecture et l’écriture pour nourrir les apprentissages

Dans ma bibliothèque, il y a plus de livres non-fiction que de romans, et sur ma pile en cours de lecture il y a The Glamour of Grammar, A Guide to the Magic and Mystery of Practical English, de Roy Peter Clark, On Writing Well, de William Zinsser, Reclaiming Conversation: The Power to Talk in a Digital Age, de Sherry Turkle et The Lindbergh Nanny de Mariah Fredericks. Ma préférence va sans conteste aux histoires vraies, aux témoignages, aux livres que l’on classe dans cette catégorie non-fictionnelle. Je lis des biographies (An Autobiography, Agatha Christie), des mémoires (Educated, Tara Westover), des récits d’expérience (The Salt Path, Raynor Winn) ou des livres documentaires sur différents sujets présentés à un public non averti par des spécialistes enthousiastes (Storm in a Tea Cup, The Water Book, Underland...). Je me plonge facilement dans un livre qui m’explique avec beauté, clarté, chaleur et parfois humour, comment fonctionne le monde.

Pour trouver de telles lectures, je fouille du côté des experts et expertes d’un domaine qui savent rendre leur sujet de prédilection vibrant et captivant ; des femmes et des hommes qui, à travers leur écriture, savent nous transmettre leur passion, ce qui leur met des étincelles dans les yeux. J’aime les personnes qui savent décortiquer la complexité du monde pour la rendre abordable, avec des mots simples et des idées bien exposées. Dans ce type d’ouvrages il n’y a pas que la surface — les faits, les résultats, les notions — il y a aussi les émotions et le vécu de l’auteur.e ; il y a ses doutes, ses recherches et essais, ses observations, ses rencontres, ses pensées connexes... tout ce qui rend un savoir savoureux et fascinant. Ces livres nous donnent le sentiment que l’auteur.e a voulu partager un moment agréable avec nous, comme une conversation.
Si on se donne la peine de regarder, chaque discipline a sa littérature et je suis convaincue que c’est là qu’il faut chercher quand on veut s’instruire sur un sujet : cherchez les spécialistes qui écrivent clairement, avec passion. Ça ne manque pas.

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Puis, tout comme nous pouvons lire pour apprendre nous pouvons écrire pour apprendre. Pas besoin d’être “un littéraire” pour cela. D’ailleurs oublions les cases et les étiquettes. Tout le monde peut écrire et tout le monde peut apprendre en écrivant – et peut-être au passage découvrir qu’écrire est plaisant quand il n’y a pas d’attentes. 

Mettons que je veuille apprendre des choses sur les arbres. Je pourrais commencer par écrire ce que je sais déjà sur le sujet, le “savoir” obtenu par mon expérience, mes lectures, mes discussions et d’autres choses dont je n’ai pas encore conscience. J’écrirais ce que je sais sur les graines, le début de la vie de l’arbre ; les glands ou châtaignes germés, trouvés quand j’étais petite, avec leur première racine que j’observais, programmée pour pousser vers le bas et leur petite pousse toute fraiche fièrement dressée, se dirigeant immanquablement vers le haut. Vers la lumière. Comment les graines savent-elles où se trouvent le haut et le bas ? Cela pourrait m’amener à réfléchir aux différentes formes de graines, les grosses comme les glands et les châtaignes qui tombent au pied des arbres et comptent sur les animaux pour les disperser, et celles qui prennent le vent comment moyen de transport, toutes légères qu’elles sont avec leur ailettes, profitant du moindre courant d’air. Quelles sont les autres stratégies choisies par les arbres pour disperser leurs graines ? Je pourrais poursuivre sur la relation entretenue par les arbres avec les animaux, les insectes, les champignons... Prenons par exemple le geai des chênes, si gourmand en glands qu’il en cache des milliers en vue de l’hiver. Comme il en oublie une bonne quantité, cela permet aux survivants de germer dans un nouveau territoire. Ainsi sans le vouloir le geai participe à la survie du chêne. En empruntant ce chemin, je pourrais parler d’autres animaux qui dépendent des arbres, puis des arbres eux-mêmes qui comptent les uns sur les autres, s’entraident et communiquent. Mais comment communiquent-ils au juste ? Et ainsi de suite. L’idée étant de mobiliser les connaissances déjà là, de creuser pour les révéler et soulever des questions. À la fin de cet exercice j’aurai mis à jour ce que je sais et ordonné mes connaissances en écrivant, en raisonnant de manière séquentielle pour produire quelque chose qui a du sens. J’aurai aussi des questions pour mener des recherches. Mon texte n’aura pas de valeur scientifique et n’aura pas pour but d’informer qui que ce soit, mais il aura fait son travail : me permettre de mieux comprendre mon sujet. Pour écrire, j’ai dû mobiliser mes connaissances et mon vécu, organiser mes idées et j’ai exposé les zones d’ombre. Cette première étape m’a permis de prendre conscience de tout ce que je savais – ce qui est en soit plutôt valorisant – mais maintenant, je sais aussi ce que je ne sais pas et dans quelle direction aller. Cette première étape nous éclaire et donne du sens à nos recherches qui ont dès lors une base personnalisée sur laquelle s’appuyer.

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Pour répondre aux questions que je me pose suite à cette première phase d’écriture et pour m’enrichir sur le sujet, je vais lire. Je vous conseille de lire, lire, lire tout ce que vous trouvez pour vous confronter à différents points de vue. Et là nous revenons au début de mon article : lisez pour apprendre, lisez des choses écrites par des gens passionnés par leur sujet, capables de vous transmettre leur enthousiasme, leur curiosité et leur émerveillement. 
Par exemple pour les arbres, il y a les livres de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres et La promesse des arbres, il y a les livres de Francis Hallé, un amoureux des arbres, ou encore Ce que nous disent les arbres du monde de Jonathan Dormi, et How to Read a Tree de Tristan Gooley (qui a aussi écrit How to Read Water).
Avant de commencer ma lecture, je prends le temps de passer en revenue le sommaire (que vais-je trouver dans ce livre ?), de parcourir le livre du début à la fin, de lire l’introduction. Ainsi j’ai une vision globale de son contenu. Puis, durant la lecture, j’écris, à la fin de chaque chapitre, ce que j’en ai retenu, les idées et les notions dont je voudrais me souvenir. Réécrire ainsi les idées importantes, avec vos propres mots est une manière de se les approprier.
(Je fais ici un aparté pour mentionner aussi les podcasts. Ce n’est pas de la lecture, mais il y en a qui savent raconter de histoires captivantes. J’ai en tête que ceux de la BBC que j’écoute régulièrement. Cet été j’ai suivi les deux saisons de The Bomb (17 épisodes en tout). Cette série sur l’énergie nucléaire et la bombe atomique est palpitante. Je n’avais pas prévu de m’intéresser à cela, c’est une suggestion d’écoute proposée par la newsletter de BBC Sound qui a piqué ma curiosité. J’ai fini par tout écouter. Comme quoi, n’importe quel sujet, bien présenté, de manière vivante, peut titiller notre appétit).

Après différentes lectures (écoutes de podcasts ou discussions avec des personnes compétentes en la matière), nous sommes prêts pour reprendre le stylo, soit en retournant sur notre premier jet pour le compléter, soit en recommençant entièrement. Et là, en utilisant nos connaissances nouvellement acquises, nous pouvons répondre aux questions que nous avions soulevées, aller plus loin dans notre réflexion, et consolider notre savoir en nous appropriant ces nouvelles idées.

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Nous devrions encourager ce type de travail à l’école : permettre aux élèves d’écrire sur tous les sujets, librement, sans devoir régurgiter un savoir pré-mâché, des leçons, des faits, des dates, des citations, sans que cela fasse sens pour eux. Les élèves écriraient plus volontairement, et avec plus d’enthousiasme, s’ils pouvaient écrire à propos de ce qui les intéresse ou des choses pour lesquelles ils ont des aptitudes. Dans de nombreux domaines, les élèves ne savent même pas qu’il y a une “littérature” parce qu’ils n’y sont pas exposés. On parle de “littérature scientifique” et par là on entend que ce n’est pas pour tout le monde, car c’est trop compliqué et rempli d’un jargon qui suggère que ce n’est pas pour nous. Nous n’appartenons pas à cette élite qui parle une langue qu’elle seule connait. Ce n’est évidement pas de cette littérature spécialisée dont je parle. Les quelques auteurs que j’ai mentionné jusque là écrivent pour tout le monde, et même s’ils sont physiciennes, mathématiciens, anthropologues, ils et elles ont le don précieux d’être enthousiasmés par leur discipline et leur sujet d’étude. Ils nous racontent une histoire, et tout le monde aime les histoires. Le fil rouge de tous ces ouvrages est la capacité de leurs auteurs à s’émerveiller et leur volonté de partager simplement leurs découvertes. Ces ingrédients — enthousiasme, émerveillement et partage — sont ceux qui comptent le plus dans les apprentissages. Les élèves peuvent, par leurs lectures, s’inspirer de ces auteurs, chercheurs, spécialistes et ouvreurs de portes qui ont ces ingrédients toujours vivants en eux. Lire, écrire, penser et apprendre font partie d’un même processus, alors pourquoi séparer les disciplines et accorder de l’importance à l’écriture uniquement quand elle est produite en cours de français ? Écrire sur un sujet scientifique par exemple, demande d’utiliser correctement la langue (c’est donc du “Français”) mais cela permet aussi de développer ses connaissances et approfondir un sujet. Écrire peut faire partie de toutes les disciplines, même les maths ! Et pour s’inspirer, il y a de quoi lire, y compris dans ce domaine, par exemple avec Le grand roman des maths et Le Théorème du parapluie de Michaël Launay, Mathématica de David Bessis ou How not te be Wrong, The Hidden Maths of Everyday Life de Jordan Ellenberg.

L’acte d’écrire active notre notre capacité à raisonner, car cela nous demande d’organiser notre pensée, organiser des phrases qui ont du sens, la première appelant la suivante dans une suite logique. Pas besoin que ça soit compliqué et rempli de mots savants. En littérature on a tendance, avec snobisme, à penser qu’un style simple est le reflet d’un esprit simple, mais je ne suis pas d’accord. Au contraire, un style simple, efficace, clair, chaleureux et enthousiaste, qui transmet des idées vivantes n’est pas si évident à obtenir.
Cela me fait penser au graphisme que j’ai pratiqué pendant de nombreuses années. J’ai étudié en Suisse, pays qui a la réputation d’avoir un style graphique fort, bien structuré, et vraiment simple. Un bon exemple est la typographie Helvetica dessinée en 1957, très présente dans le graphisme suisse, et largement appréciée des graphistes encore aujourd’hui. En tant que graphiste, j’aime les créations simples et intelligentes, et je peux vous assurer que faire simple ce n’est pas si facile. Laisser des blancs dans une composition, c’est laisser des vides, et ces vides doivent être utiles. Ils servent le reste, apportent de la respiration ou du soutien, donnent une direction au regard. On ne laisse pas un vide parce qu’on ne sait pas quoi mettre à cet endroit-là, on met un vide parce qu’on y a réfléchi et qu’il est utile. C’est pareil avec l’écriture. On ne met pas un adjectif pour faire joli, mais parce qu’il est utile. Faire simple et efficace tout en apportant de la créativité, de l’humour, de l’émotion, ce n’est pas si simple. 

Si vous êtes élève ou étudiant vous n’avez probablement pas vraiment le choix de vos sujets d’études. Mais vous pouvez utiliser l’écrit tel que je l’ai décrit pour vous aider à apprécier un sujet et le relier à d’autres domaines, pour vous approprier des idées, pour aller chercher des questionnements qui vous intéressent. Cela rend le sujet plus personnel, et allège l’idée de devoir apprendre quelque chose qu’on n’a pas choisi.
Par exemple, si je dois étudier la révolution française en cours d’histoire et que cela ne m’enchante pas, je pourrais, en mettant sur papier ce que je sais, me rendre compte des blancs à combler et des connexions à faire avec d’autres domaines, la géographie ou la science par exemple. En étudiant les années précédant la révolution pour comprendre ce qui a conduit à cet événement, je pourrais me pencher sur le climat qui a produit de très mauvaises récoltes, donnant lieu à des famines et des paysans fatigués de payer des impôts. Je pourrais découvrir qu’une éruption volcanique magistrale en Islande a eu lieu, en même temps qu’une autre au Japon, causant des perturbations climatiques dans tout l’hémisphère nord. Peut-être qu’en partie, ces volcans ont joué un rôle dans le climat explosif qui précède la Révolution ? Je trouve cela fantastique de penser que l’on puisse faire le lien entre un volcan et la Révolution française qui a façonné la France dans laquelle nous vivons. En tout cas, cela me permettrait de rentrer avec plus d’enthousiasme dans le sujet de la Révolution en étudiant la période qui l’a précédée et les enchainements de circonstances qui ont menés à cette fureur du peuple comme un écho à l’éruption d’un volcan.

Je pense qu’il faut avoir la sagesse de ne pas se fermer à des sujets qui nous rebutent à priori. Je n’aurais jamais pensé écouter un podcast sur la bombe atomique si la BBC ne me l’avait pas proposé. Pourtant j’ai trouvé cela passionnant et j’aurais bien écouté quelques épisodes de plus. Cela m’a conduite vers un sujet que je ne connaissais pas et j’ai eu envie d’écouter ensuite un autre podcast sur la catastrophe de Fukishima, puis un sur le rôle des espions pendant la seconde guerre dans cette course à l’armement atomique. J’ai maintenant envie de voir le film Oppenheimer. En étant ouvert, on peut se donner les moyens de planter des petites graines d’enthousiasme pour un sujet, des petites graines à faire germer en faisant ensuite des recherches, des lectures, des discussions... d’ailleurs au sujet de la révolution, je vous recommande ce livre passionnant : L’abolition des privilèges de Bertrand Guillot. Dans un langage moderne et intelligent il nous plonge dans la nuit du 4 août comme si nous y étions.

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J’arrête ici cet article déjà bien trop long, en terminant sur ces mots : vous êtes responsables de vos connaissances (ce n’est pas l’école), c’est bien vous qui portez cette responsabilité. Personne d’autre, ni les professeurs ni vos parents. Vous êtes celles et ceux qui choisissez d’apprendre (on ne peut entrer de force des savoirs dans votre tête) et vous pouvez aussi choisir quoi et comment apprendre.
Écrire (et lire) pour apprendre est un moyen d’explorer une idée ou un sujet et d’en acquérir une certaine maîtrise. Le processus de se poser des questions est une forme d’apprentissage qui soulève ensuite d’autres interrogations et vous renseigne sur ce que vous voulez savoir.
Pour résumer, écrire sur un sujet permet d’apprendre, de clarifier et d’organiser ses idées, de savoir ce qu’on a encore à découvrir, de se poser des questions et ainsi progresser. Essayer d’écrire clairement nous amène à penser clairement et c’est une clé pour l’apprentissage. Enfin, écrire s’apprend par l’imitation au départ, c’est pour cela que j’ai commencé ce billet en parlant de lecture, et la boucle est bouclée. Nous avons besoin de modèles pour nous mettre à écrire, et ça sera beaucoup plus facile après avoir lu un livre qui nous plait. Lisez, étudiez, puis écrivez à votre tour, simplement et avec votre coeur.

Merci de me lire ♥️
Eve

PS : à la demande de plusieurs d’entre-vous, voici les pistes de lectures en français ; parmi les livres cités dans mon post, il y en a pas mal qui sont traduits.
- L’affaire du siècle (The Lindbergh Nanny), de Mariah Fredericks
- Une Autobiographie (An Autobiography) de Agatha Christie
- Une Éducation (Educated), de Tara Westover
- L’art de ne pas dire n’importe quoi : Ce que le bon sens doit aux mathématiques (How Not to Be Wrong: The Hidden Maths of Everyday Life), de Jordan Ellenberg
- Underland, voyage au centre de la Terre (Underland), de Robert Macfarlane
- Le chemin de sel (The Salt Path), de Raynor Winn
- Une histoire du corps humain à l’usage de ses habitants (The Body : A Guide for Occupants), de Bill Bryson
- Une histoire de tout ou presque (A Story History of nearly Everything), de Bill Bryson
- Les yeux dans les yeux: Le pouvoir de la conversation à l'heure du numérique (Reclaiming Conversation: The Power to Talk in a Digital Age), de Sherry Turkle